Sussu et Mercredi

Sussu et Mercredi




Depuis quelque temps, je m'intéresse plus aux chats qu'à tout autre chose. On me dit que c’est parce qu’ils occupent une place importante dans les réseaux sociaux ; mais, je n'ai pas de compte twitter, ni tik tok, ni snapchat, ni instagram, ni facebook ; je ne pense pas être influencé par ces vidéos dont me parlent certains de mes amis et qui semblent vraiment hilarantes. Après les vidéos de chat, il paraît qu’on ne parle plus que météo, le temps qu’il a fait / qu'il fait / qu'il va faire, de catastrophes naturelles, de changements climatiques, de la fonte des glaciers, de la montée des eaux, des éruptions volcaniques. 

Je ne pense pas tout à fait comme mes amis. Pour moi, si les chats ont pris cette importance, c’est à cause de Sussu et Mercredi, avec qui, sans l’avoir voulu, je partage le quotidien maintenant depuis quelques années.

Sussu et Mercredi ont toujours vécu dans cette maison avec jardin, au bord d'une rivière qui ressemble à un fleuve. Ils étaient là avant moi, c'est-à-dire... Aurélie... Sarah...

Non, je me trompe. Ils habitaient déjà là avant que je n’y emménage une deuxième fois ; puisque j’ai habité cette maison auparavant. Dans une autre  phase de ma vie, la propriétaire était alors la grand-mère de Gabriel, le propriétaire actuel. Je passais entre la haie du hangar et le mur nord de la maison pour gagner le jardin derrière et entrer dans le basement. En bord de Seine, les maisons ressemblent aux maisons londoniennes.

Dans la tête de Sussu et Mercredi, je suis venu vivre chez eux, j’imagine. Mais mon arrivée ne les a pas trop perturbés. Ils ont compris que je connaissais bien les lieux, malgré les travaux qui avaient été réalisés entre temps.

C’était le printemps. Cette année-là, les températures étaient plutôt élevées pour la saison : dès qu’il fait chaud, Sussu et Mercredi vivent dehors. Ils jouent aux chats sauvages. Quand je les croise sur le quai, ils filent se cacher, ils font comme s’ils ne me connaissaient pas, ils m’ignorent royalement, ils détournent la tête. Ils chassent, surveillent leur territoire, dorment dans un fourré. 

Se cachent.

Je les ai d’emblée appelés les Affreux. Non pas qu’ils soient moches, mais parce qu’ils ont tous les deux une personnalité féline hors du commun et que ce sont des animaux du 9-3. Des chats « sauvageons ». Mercredi est costaud et bagarreur. Sussu espiègle, malicieuse et pot-de-colle.

Ils chassent.

Ils attrapent des rats, des souris qu’ils m’apportent en cadeaux. Ils pêchent. Sussu ramènent de petites écrevisses très bizarres ou des poissons qu’elle attrape avec ses griffes, après avoir patientée des heures au bord du fleuve-rivière, parfois boueux, « terreux » , parfois bleu, souvent gris-noir, orage. La première fois, elle est arrivée très fière, a lâché le poisson, qui gigotait encore sur le plancher. Puis, elle l’a croqué. Le son était vraiment particulier. Celui d’un poisson à chair ferme, encore vivant, dans lequel on mord à belles dents. Crissant et croquant. Je m’en souviens comme si c’était hier parce que c’était ce dernier vendredi d’octobre 2017, dont parle Enrique Vila-Matas dans Cette brume insensée. Jamika était encore là.

Tous les deux proviennent de la même portée, Sussu est la sœur de Mercredi qui est son frère. Et réciproquement. Ce ne sont pas mes chats. Ils vivaient dans la maison avant que je ne m'y installe. C'étaient ceux d'Élie, qui à l'époque s'appelait Aurélie. Un être vivant n’appartient à personne et son genre peut varier. C’est comme ça. Je le répète, on peut ne vouloir appartenir à personne. Et changer.

Ma sœur, elle, habite une maison à côté. C’est ça, le problème.

Nous nous sommes connus dans cette maison près de la Seine. Un passage de l’an, il y a quoi, 5- 6 ans. Peut-être moins. Quelques mois plus tard, tu venais vivre là. J’entends encore tes pas sur le gravier du passage secret, entre la haie et le mur nord de la maison, par lequel on se défait de tout ses oripeaux.

Tes chaussures argentées s’écaillaient. Je mangeais ces petits morceaux de pleine lune qui traînaient partout sur le plancher. J’avalais le sel de ta folie ou tes grains de vie la nuit. La nuit, la maison était si belle, dans la lumière orangée qui tombaient des lampadaires depuis le quai.

 La Nit 

 Es quan dormo que hi veig clar.

 

C’est quand je dors que je vois clair.


Les animaux domestiques ont une durée de vie plus courte que la nôtre ; ils nous accompagnent dix, quinze ans. Parfois vingt, mais c'est très rare. Je porte toujours la médaille de Sushi, qui est morte brutalement, une nuit de juin. Ce chien a été un ange tombé sur terre. Qui m’a accompagné durant presque dix ans. Je ne voulais plus d'animaux après elle. Sussu et Mercredi sont arrivés comme une surprise.

Il sont « les animaux, oh! oh! » et me rappellent à toi. Je vois encor ta silhouette passer devant les fenêtres.

« Jusqu’à la mort des poètes les critiques en attendent une oeuvre. Ils peuvent attendre. Outre que ce mot œuvre que nous sommes forcés d'employer est devenu souverainement déplaisant, rien ne me semble plus triste qu'un poète qui tient ses promesses. La vie d'un poète qui tient ses promesses est un automne. Or chaque année d’un poète doit avoir son automne, et chaque fois ses fruits verts doivent faire faire la grimace et rendre malades ceux qui croyaient n'avoir plus jamais qu'à mordre dans ses fruits mûrs. »

Jean Cocteau, Le Secret professionnel, 1922

Il se peut que pratiquer la citation soit l'art de ceux qui ne savent pas réfléchir par eux-mêmes. Il se peut aussi que, comme le dit Montaigne, « mon métier et mon art, [ce soit] vivre ». Il se peut alors que le métier de vivre et le métier d'écrire soient étroitement liés comme le dit Cesare Pavese en cherchant ce qui est le propre du travail de l'écrivain.

Il se peut encore que l’« espace d'un éclair, nous voyons un chien, un fiacre, une maison pour la première fois. Tout ce qu'ils présentent de spécial, de fou, de ridicule, de beau nous accable. Immédiatement après, l'habitude frotte cette image avec sa gomme. Nous caressons le chien, nous arrêtons le fiacre, nous habitons la maison. Nous ne les voyons plus. Voilà le rôle de la poésie.

Elle dévoile, dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement. »

Machinalement nettoyer son regard

Pourquoi s'amuser à faire des bulles avec sa salive sur le perron en regard le soleil qui se couche ?

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