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J’ai trouvé cette photographie sur internet : la classe de 6e du lycée de garçons à Montpellier, année scolaire 1954-1955, où figure mon père.

C’est le deuxième garçon à gauche de l’avant-dernière rangée, en partant du bas. La photo a été prise dans la grande cour du lycée de garçons de Montpellier, qui est aujourd’hui le parvis du musée Fabre.

Le lycée a déménagé en 1958 pour intégrer les murs de l'ancienne caserne Joffre.

Mon père porte un blouson léger, type bombers, sur une chemise au col bien boutonnée. Comme ses camarades assis au premier rang, ses pantalons doivent être courts et bouffants et ses pieds, je suppose, chaussés de Converse. Il faudra que je le lui demande, à l'occasion, pour vérifier ; il se peut que, non, que ce soient des mocassins.

En ce milieu des années cinquante, la mode était déjà américaine.

L’année de sa 7e, il a attrapé la tuberculose et a été obligé d’arrêter d’aller à l’école.

Comme il a refusé d’ être envoyé en sanatorium, il est resté durant toute une année à l’isolement, dans sa chambre, en écoutant la radio : les feuilletons de Radio-Luxembourg, l’heure musicale, la musique de chambre, la « musique byzantine » de Léo Ferré sur Paris-Inter, toute la musique sur Radio-Andorre, « La joie de vivre » sur RTF, « l’heure exquise » de Gilbert Carpentier, l’émission « Vingt questions » de Max Favalelli, Robert Rocca et Odette Laure, « Soucoupes volantes » et « Reine d’un jour »  de Jean Nohain, « La porte ouverte », « Caf’ Con’ et music-hall », « Les petites histoires géographiques », « Pour ceux qui aiment le jazz », « Signé Furax » de Pierre Dac et Francis Blanche, « Programme à la carte », « le feuilleton policier et « Jazz Club » « le magazine de l’auto » sur Radio-Andorre.


Le monde venait à lui à travers son poste de radio.


Il a donc redoublé la 7e à l’école Jean-Jacques-Rousseau, où un instituteur avait regroupé dans une m^me classe les élèves pour les préparer à passer l’examen d'entrée en 6e.

A cette époque-là, il habite avenue Foch, dans l’appartement situé au-dessus de l’atelier de tailleur de mon grand-père, qui a appris son métier à Barcelone dans les années 30, à l’École supérieure de la Societat de Mestres Sastres “La Confiança”.


Mon père est né, en Catalogne, à la Seu d’Urgell un 18 décembre, mais il n’a été déclaré sur les listes du diocèse de la ville que le 21 décembre.

Il a passé ses premières années dans la ferme de l’avi. Le catalan est donc la langue dans laquelle il a appris à parler. Quand il repartira à Montpellier, il arrêtera totalement de parler (ni français ni catalan) pendant près d’une année, puis il recommencera à parler, mais en français.

Son père (mon grand-père) était un républicain catalan (de ceux qui pourrissent à l’heure actuelle dans les geôles de l’Espagne qui n’a toujours pas fini sa transition entre le régime de Franco et la république et dont la forme démo-royaliste n’a rien à envier aux toiles que Goya cachait à la cour de Carlos IV). Mon grand-père a participé au combat de Barcelone au côté de son beau-père, le tiet Joan.

Avec les garçons de l’école Jean-Jacques-Rousseau, mon père joue dans le labyrinthes des petites rues de la vieille ville. A Montpellier, on dit les nistons et non les mistons, comme dans le Gard, qui a été consacré par le titre du court-métrage de François Truffaut. En tout état de cause, ce sont des galapiats qui sont libres comme l’air et qui font les quatre-cents coups dans un périmètre à échelle humaine.


Des anecdotes que tous les enfants de l’époque peuvent raconter : brûler des crottes de chiens sous des feuilles en automne, sonner au portes, demander à une mère qui promène son bébé au Peyrou :

–  C’est votre enfant, Madame ?
– Oui !
– Quel oeuf !

La plus révélatrice de mon père est celle qu’il a raconté, un jour où, par provocation, je lui ai demandé s’il “était déjà aller aux putes”.
–  Je ne sais pas si je suis allé aux putes, comme tu dis, mais dans un bordel, oui.

Sa mère, pour ne pas avoir à s’occuper de lui,  lui donnait toujours l’argent du ticket pour entrer au cinéma, si bien qu’il y allait deux à trois fois par semaine sans rien savoir du film qu'il allait voir. Je pense que c’est ainsi que s’est formé son regard de cinéphile, en repérant les nanars des vrais films de cinéma, en regardant les Diaboliques de Henri-Georges Clouzot après avoir vu le Rouge et le Noir de Claude Autant-Lara. Le cinéma, pour lui, comme beaucoup de jeunes à cette époque, était une passion.

Alors, revenons au bordel. Comme il va très souvent au cinéma, un camarade de sa classe lui dit que chez lui il y a une salle de cinéma avec écran, projecteur et bobines de films. Un après-midi, mon père se rend chez son ami : il se sont entendus pour une séance de cinéma. Il entre dans une grande pièce, qui est une grande cuisine, avec beaucoup de dames qui mangent et d’hommes. L’ambiance est chaleureuse et gaie. Mais, la mère de son ami ne leur permet pas d’aller dans la salle de projection. Mon père passe un moment à parler de tout et de rien avec ses femmes et ses hommes. Il ignore tout de ce genre de lieu que la morale bourgeoise refoule et condamne.












Mon père s’est toujours montré bon prince, tolérant et plein d’indulgence : je défie quiconque de s’attaquer à lui.

Classe de 6e 



 

 
 


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